Ministère de l'Intégration Africaine: «Quelle intégration régionale pour la côte d’ivoire post-crise?» Conférence prononcée par Monsieur Amadou KONÉ, Ministre de l’Intégration Africaine de Côte d’Ivoire.

  
  

Introduction


L'intégration régionale est un processus par lequel un groupe de pays avec ou sans frontières communes libéralise ses échanges au moyen d'une zone de libre-échange ou d'une union douanière et crée de ce fait un marché commun des biens, des personnes, des capitaux et des services.


Au delà des questions économiques, plusieurs préoccupations existent souvent et qui amènent les pays à s’unir dans un cadre régionale : ce sont notamment, l’existence politique, la sécurité, la paix et développement humain des citoyens qui finissent par âtre des citoyens communautaires.


L’intégration a donc une dimension politique réelle et qui fait que nous constatons que dans certaines communautés comme l’Union européenne , les critères d’adhésion portent aussi sur la pratique de la démocratie, la protection des droits humains et la protection de l’environnement.


Des modèles d'intégration plus avancés, tels que l'Union européenne, sont allés plus loin par l'adoption d'une monnaie unique, l'harmonisation législative dans certains domaines et l'élaboration de politiques communes.


Par intégration africaine, il faut entendre la volonté des pays africains de constituer un ensemble politique et économique à même de parler d’une même voix et de mettre en œuvre des programmes économiques pour le développement de l’Afrique.


En Afrique, l’on distingue plusieurs instruments d’intégration en plus de l’Union Africaine, connus plus généralement sous l’appellation de Communautés Economiques Régionales (CER) parmi lesquels je citerais la CEDEAO, L’UEMOA, LA CENSAD, L’UNION DU FLEUVE MANO (MANO RIVER), etc. A l’instar de l’UA qui s’est doté d’un instrument stratégique de développement appelé NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique), on pourrait également citer la CEDEAO qui conduit certains programmes comme l’ECOWAP (la politique agricole commune de la CEDEAO), etc.


Notre pays participe à l’ensemble des regroupements régionaux ou sous-régionaux dont les principaux que j’ai cités plus haut. La Côte d’Ivoire est membre fondateur de l’OUA devenu UA, de LA CEDEAO, de l’UEMOA, etc.


Le thème soumis à notre réflexion nous invite également à faire un état des lieux de la Côte d’Ivoire d’aujourd’hui. D’une superficie de 322.000 km2 pour près de vingt (20) millions d’habitants, la Côte d’Ivoire, malgré la crise qui la frappe, se présente comme un pays porteur, avec une économie solide basée sur les productions de rente (café, cacao) mais aussi sur les mines et énergies et un secteur dynamique des services (banques, assurances, etc.). les infrastructures routières, ferroviaires, aériennes et immobilières sont des plus performantes de la sous-région et notre pays peut également se targuer de disposer de ressources humaines de qualité dans tous les secteurs de la culture, de l’économie et des finances, de l’industrie, des services et des nouvelles technologies.


Poser donc la problématique des enjeux de l’intégration africaine pour la Côte d’Ivoire aujourd’hui revient donc à établir un partenariat gagnant-gagnant entre notre pays et la dynamique actuelle d’intégration africaine. En d’autres termes, quelle peut être la contribution de l’intégration africaine dans le développement politique, économique et socio- culturel de notre pays et en quoi la Côte d’Ivoire peut-elle servir de catalyseur ou d’accélérateur au processus d’intégration africaine ?


Nous verrons donc successivement les bénéfices que la Côte d’Ivoire peut escompter des CER et de l’UA, la contribution décisive que nous pourrions apporter et que nous apportons par le biais du ministère de l’Intégration Africaine, enfin les diligences ou perspectives à envisager la Côte d’Ivoire Post-crise.




1ère partie : Que peuvent apporter les CER et l’UA à la Côte d’Ivoire ?


Nous verrons successivement les apports politiques, économiques et culturels.


1. Au plan politique



La Côte d’Ivoire peut se féliciter de la mobilisation exemplaire dont ont fait preuve les pays membres des CER comme la CEDEAO, l’UEMOA ainsi que l’UA pour le retour de la paix, après un conflit interne dont les conséquences menaçaient l’équilibre régional et la stabilité de la sous-région. Le dialogue direct qui a donné naissance à l’Accord Politique de Ouagadougou (APO) est placé sous la facilitation du président en exercice de la CEDEAO, les forces de l’ONUCI qui sécurisent le processus de sortie de crise sont composées en majorité de contingents issus des pays membres de la CEDEAO et de l’UA, et les exemples pourraient se suivre indéfiniment. Cette solidarité exemplaire constitue un atout non négligeable qui démontre tout l’intérêt que nous avions à militer au sein des CER et de l’UA.


Par ailleurs, nous sommes conscients que les enjeux de la mondialisation sont tels qu’à travers les CER et l’UA, nous pouvons faire entendre la voix de l’Afrique, ce qui ne serait pas possible pour nos Etats pris individuellement.


Au plan économique


Il importe de mettre un accent particulier sur l’interpénétration de nos économies et la nécessité de développer des relations commerciales sud-sud basées sur la solidarité et la complémentarité, capables de s’intégrer dans le marché mondial.


Il est regrettable de constater que les relations commerciales entre pays membres des CER et l’UA sont en volume largement inférieures à celles que nous entretenons individuellement avec la France ou les pays de l’Union Européenne.


La Côte d’Ivoire est persuadée que l’intégration lui permet d’avoir accès à un marché plus vaste que le marché intérieur, pourvu que les règles de libre circulation des personnes, des biens et services devienne une réalité. L’accès à de nouveaux marchés, la libre installation de nos entreprises constituent égalent des facteurs pourvoyeurs d’emploi, donc susceptible de lutter contre le chômage de nos jeunes.


De nouveaux marchés porteurs, c’est enfin une opportunité pour l’accroissement de nos productions et par conséquent de développement économique et social.


Au plan culturel


Les menaces qui pèsent sur notre patrimoine culturel et le développement des technologies de la communication qui nous imposent une plus grande coordination de la lutte contre toutes formes de pillage ou de piraterie de nos œuvres culturelles.


Ex : le phénomène de la piraterie qui s’est développé du fait de l’internet. Aucun pays tout seul ne peut y faire face.


On retient donc que l’intégration permet d'élargir les marchés et de créer de nouveaux débouchés commerciaux, tout en stimulant la concurrence et en réduisant les prix pour les consommateurs. Il est également avéré qu'une intégration réussie entraîne une hausse des investissements intérieurs et étrangers, et renforce la sécurité et la stabilité. La Côte d’Ivoire a donc tout intérêt à s’engager dans cette voie.


2ème partie : la contribution du gouvernement ivoirien par le biais du Ministère de l’Intégration Africaine.


La volonté politique


En respectant notre triptyque de départ, je voudrais relever que la volonté politique de la Côte d’Ivoire à aller à l’intégration africaine a été réaffirmée par la constitution de 2000 et la création d’un département ministériel consacré exclusivement à cette question. Le Ministère de l’Intégration Africaine de Côte d’Ivoire est chargé de la coordination, de la conception et de la mise en œuvre de la politique d’intégration africaine de notre pays.
La position de leadership de notre pays, ses infrastructures, son poids économique et la qualité de ses ressources humaines lui confèrent un rôle prépondérant dans la promotion de l’intégration africaine.


Au plan économique


Notre département ministériel sert de porte d’accès de toutes structures économiques communautaires notamment l’UEMOA et de la CEDEAO. Il œuvre au quotidien à la promotion de l’intégration économique en coordonnant les actions économiques régionales. Il veille à ce que la Côte d’Ivoire puisse jouer le rôle qui est le sien dans cette dynamique de l’intégration africaine. Sa participation aux fora économiques régionales, l’accompagnement des entreprises » ivoiriennes aux foires et manifestations à caractères économiques s’inscrivent dans cette logique. Ex. La participation du BIPIA à la 5ème Foire de la CEDEAO de Ouagadougou et l’obtention de l’organisation de la 6ème en Côte d’Ivoire...

La Côte d’Ivoire apporte une contribution décisive dans les discussions pour la finalisation des accords de partenariat économique (APE).

Nous relevons également les actions menées dans le cadre du transfert de technologie dans le domaine du transport (la sotra), du chemin de fer (sitarail), de l’énergie (interconnexion du réseau électrique avec le Mali, le Ghana, …), du transit marchandises (Port autonome d’Abidjan), des nouvelles technologies (SNDI), etc.

Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire peut s’estimer prête à appuyer le développement sous régional grâce à tout le potentiel qu’il est en mesure de mettre à la disposition des pays aux capacités moindres.



Au plan social et culturel : l’État de Côte d’Ivoire par le biais du Ministère de l’intégration africaine œuvre au quotidien à promouvoir la dimension sociale et culturelle de l’intégration. Ainsi de nombreuses initiatives sont menées dans cette perspective, notamment :

? l’organisation de cadre d’échanges réguliers sur l’intégration africaine par le Bureau Ivoirien par la promotion de l’intégration africaine ;

? les mises en place d’outils promotionnels et de recherche sur l’intégration africaines. (Sites web, Revue, Bulletin, symposium, conférences publiques) ;

? la rédaction de plusieurs projets à caractères intégrateurs soumis aux PIP (création d’une Bibliothèque de l’intégration, construction d’une maison de l’intégration, mise en place d’une base de données de l’intégration…) ;

? l’accompagnement de toutes les initiatives des ONG œuvrant dans les milieux de l’intégration africaine.

Je suis donc persuadé que notre pays est prêt et engagé sur la voie de l’intégration africaine, pour appuyer le développement social et économique de la sous-région et du reste de l’Afrique. Cependant, de nombreux défis nous attendent car s’il est vrai que nous n’avons d’autre choix que d’aller vers l’intégration, il n’en demeure pas moins que de nombreuses entraves plombent nos efforts et nuisent à la dynamique intégrationniste.


3ème Partie : les diligences à accomplir


Nous soutenons ici que l’Intégration Africaine est une œuvre de longue haleine qui requiert la volonté de tous les Etats et la détermination des organes chargés de la mettre en application. Il s’agira donc pour nos Etats de vaincre les entraves politiques, économiques et culturelles susceptibles de freiner le processus.


Au plan politique : Il s’agira de vaincre les entraves politiques qui plombent les actions à caractères intégrateurs et relever les défis politiques qui les accompagnent. L’instabilité politique et les crises sociales auxquelles sont confrontés de nombreux pays africains constituent des obstacles majeurs à l’intégration africaine. Enfin, les obstacles à la libre circulation des personnes, des biens et services requièrent un engagement plus fort de nos Etats, qui peinent encore à renoncer à des comportements protectionnistes.
L’exemple de l’Union Européenne dont le traité de Lisbonne va entrer bientôt en vigueur devrait nous inciter à accélérer notre intégration politique en donnant une plus grande autonomie à nos organes.



Au plan économique : d’importants écarts macroéconomiques entre pays d’un même ensemble communautaire subsistent et il convient de prendre des dispositions pour une plus grande convergence économique. Surtout, nous devrions mettre un accent particulier sur le développement des échanges bilatéraux et intra communautaires, sur le transfert des technologies et des compétences (valorisation de l’assistance technique interne).



Au plan social et culturel: la gestion des crises internes, la lutte contre le repli nationaliste, l’encourager du brassage culturel des peuples étant entendu que les crises identitaires dérivent le plus souvent de l’enfermement sur soi (ne dit-on pas que tout ce qui est étranger est étrange ?). Mais pour une action efficiente au plan social et culturel l’on gagnerait au plan africain à mettre l’accent sur les initiatives suivantes :

? le développement et la promotion du chemin de fer en vue de rendre plus fluide le déplacement des populations et le développement des affaires et du tourisme communautaire à moindre coût ;

? la mise en œuvre et l’amélioration des dispositifs communautaires en matière de libre circulation des personnes, des biens et des services ;

? l’intégration des systèmes éducatifs afin d’aller vers des programmes régionaux communs dans lesquels un accent particulier est mis sur la culture et l’histoire communes (aller au-delà des simples directives telles que celle de l’UEMOA sur l’enseignement Supérieur et la réforme LMD).



Plus généralement, nous recommandons :

? le renforcement de la stabilité et de la convergence macroéconomiques au niveau régional. Les programmes de renforcement des capacités permettent de mettre en place des systèmes de surveillance macroéconomique et de suivre les progrès sur la voie des objectifs de convergence. Ils sont également utilisés pour harmoniser les statistiques nationales, les régimes fiscaux et la législation en matière de finance publique ;

? la mise en place de zones de libre-échange et d'unions douanières. Ces structures aident les régions à récolter les fruits des économies d'échelle et érigent la conduite des échanges en priorité. Les activités portent sur la simplification et l'harmonisation des systèmes douaniers nationaux et de leurs procédures, sur la recherche de solutions pour réduire les délais de dédouanement et faciliter la circulation des marchandises, par exemple grâce à un système douanier informatisé. Le développement des infrastructures douanières, telles que les postes frontaliers uniques, peut faciliter la circulation transfrontalière des marchandises ;

? la création d'activités de synergie et de soutien afin de stimuler les échanges intra régionaux. L'incitation des pays à partager des systèmes sanitaires et phytosanitaires, des normes techniques et des systèmes de qualité est susceptible d'avoir une incidence positive sur la coopération régionale. L'établissement de cadres réglementaires régionaux et la création d'organismes tels que les bureaux d'enregistrement régionaux contribuent à stimuler les échanges entre les pays.



Conclusion


Nous avons montré que la Côte d’Ivoire est engagée dans un partenariat gagnant-gagnant avec les Communautés Economiques Régionale et au sein de l’Union Africaine. Nous insistons pour dire qu’au-délà de la volonté politique, l’intégration africaine se présente désormais comme une impérieuse nécessité d’ouverture socio culturelle et de développement pour nos Etats. C’est pourquoi il convient d’accompagner, de s’inscrire dans cette dynamique de manière résolue, sans calculs. De plus, l’intégration nous donne la possibilité d’aller à la « civilisation de l’universel » avec une spécificité africaine, basée sur la solidarité, la complémentarité et le progrès endogène. Que ferions-nous de nos milliers de diplômés sans emploi, comment écoulerions-nous nos produits en pleine expansion, comment lutterions-nous contre le terrorisme, les gaz à effet de serre, l’insécurité alimentaire, la cybercriminalité et tant d’autres fléaux si nous allons en rangs dispersés ? Voilà, mesdames et messieurs, les véritables enjeux qui nous attendent, et j’espère que le débat qui va s’ouvrir nous permettra d’approfondir les pistes de solutions.


Je vous remercie.