AGRO-BUSINESS : LA NOTE DE SYNTHESE DU RAPPORT DU GROUPE DE TRAVAIL

Face à la prolifération des entreprises d’agro-business et les risques que pourraient encourir le secteur financier et les populations, un Groupe de Travail comprenant le Trésor Public, la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), l’Association Professionnelle des Banques et Etablissements Financiers de Côte d’Ivoire (APBEF-CI), la Cellule Nationale de Traitement des Informations Financières (CENTIF), la Direction de la Police Economique et Financière (DPEF), le Centre National de Recherche Agronomique (CNRA) et le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural , a été mis en place le 04 novembre 2016.

Ce Groupe de Travail, présidé par le Directeur Général du Trésor et de la Comptabilité Publique, avait pour mission de conduire une étude dont les conclusions permettront aux autorités de prendre les décisions idoines.

Pour y parvenir, le Groupe de Travail s’est appuyé sur les conclusions des enquêtes préliminaires réalisées par la DPEF et la CENTIF ainsi que les auditions d’un échantillon de 16 sur 28 entreprises d’agro-business.

Les travaux se sont déroulés du 04 novembre 2016 au 06 janvier 2017. Il en ressort les constats et risques majeurs suivants :

Au titre des constats
- le « phénomène d’agro-business » a commencé timidement en Côte d’Ivoire entre 2008 et 2009 avec MONHEVEA.COM et RESPIIDIA World Group pour atteindre sa vitesse de croisière en 2016 avec l’enregistrement de vingt-six (26) autres entreprises ;
- le phénomène touche au moins 36 699 personnes physiques résidentes et non résidentes pour un montant estimé à 66 milliards FCFA correspondant au capital investi par les souscripteurs au 06 janvier 2017 ;
- les dirigeants, pour la plupart, ne sont pas des professionnels du secteur agricole. Certains d’entre eux sont connus des services de la Police pour des faits d’escroquerie ou de crimes financiers ;
- une forte inadéquation entre le nombre de souscripteurs et les surfaces cultivées est à relever ;
- les parcelles de terres déclarées, mises en valeur ou non, ne sont généralement pas la propriété des entreprises et les titres d’exploitation de ces terres sont des actes sous seing privé. Aucun promoteur n’a pu présenter un titre foncier rural ;
- les Retours Sur Investissement (RSI) proposés vont de 300 à 1000% du capital investi à très court terme (3 à 6 mois), ce qui correspond à un engagement global estimé à 660 milliards FCFA au 06 janvier 2017 alors que les soldes disponibles sur les comptes bancaires des entreprises d’agro-business s’élèvent à 22 745 067 272 FCFA au 10 janvier 2017 ;
- depuis août 2016, on observe des difficultés de paiement des RSI au niveau de certaines entreprises. Il s’agit de MONSUCCES, RESPIIDIA, MONHEVEA.COM et SAGRICI ;
- les circuits de commercialisation sont informels et même inexistants pour certaines entreprises ;
- certaines entreprises d’agro-business ont réinvesti les fonds dans des secteurs autres que l’agriculture (immobilier, pharmaceutique, distribution) ;
- les RSI payés aux souscripteurs ne proviennent pas des revenus issus de la vente des récoltes mais plutôt des nouvelles souscriptions. Toutefois, pour les entreprises comme POLYAGROBIZ, IVOIRE CHAMP, MAKTUB-IVAGROP, GRAM’S et AGRICASH-PESERV, la visite des sites d’exploitation s’avère nécessaire à l’effet de déterminer si les RSI payés proviennent effectivement des revenus des ventes issues des récoltes tel que déclaré par ces sociétés.

Il est établi très clairement que les sociétés concernées par l’étude fonctionnent pour la plupart sous le modèle pyramidal ou système de PONZI, traduisant ainsi la non-viabilité du modèle.

Au titre des risques

Cinq (5) types de risques majeurs ont été identifiés.

• Risques liés à l’activité agricole
- la possibilité d’une sous production liée à la mauvaise qualité des techniques culturales utilisées et à la faiblesse des investissements requis pour atteindre les rendements projetés ;
- l’absence de titres de propriété sur les parcelles de terres détenues qui pourrait être source de conflits fonciers ;
- la non prise en compte de risques liés aux aléas climatiques qui pourraient agir sur les niveaux de production et compromettre les RSI promis ;
- l’absence de dispositifs de conservation des produits très périssables ;
- l’absence de polices d’assurance couvrant les risques liés à l’activité agricole.

• Risques de marché

- la possibilité de la chute des prix des denrées, en raison d’une éventuelle surproduction (toutes les entreprises affirment pratiquer les mêmes cultures en contre saison) sans oublier la concurrence des importations ;
- la défaillance des clients, en raison de la non maîtrise des circuits de commercialisation et la non formalisation des contrats de vente ;
- l’éventualité d’une mévente liée à l’existence de barrières tarifaires et non tarifaires.

• Risques de non-conformité
- les opérations de collecte de fonds auprès des populations sont menées par les sociétés d’agrobusiness en violation de l’instruction n°036/2009 du Conseil Régional de l’Epargne Publique et des Marchés Financiers (CREPMF) portant modification et annulation de l’instruction n°33/2006 relative à l’appel public à l’épargne au sein de l’UMOA;
- les souscriptions enregistrées à l’étranger (Hors UEMOA) ainsi que les paiements de RSI y relatifs l’ont été en violation du règlement n°09/2010/CM/UEMOA du 1er octobre 2010 relatif aux relations financières extérieures des Etats membres de l’UEMOA.
- le paiement des RSI, calculés sur la base des bénéfices brutes qui proviendraient de l’activité agricole, pourrait être source de fraude et d’évasion fiscales notamment l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur les revenus, etc.

• Risques de blanchiment
La collecte des fonds par les entreprises d’agrobusiness à travers des manœuvres frauduleuses (publicités mensongères, inexistence des plantations, taux d’intérêt proposé, utilisation déguisée des canaux bancaires, etc.) constitue une escroquerie.
Les fonds ainsi mobilisés qui ont un caractère illicite sont réinvestis dans l’économie à travers la création de sociétés écrans, l’acquisition de sociétés, de biens meubles, d’immeubles d’unités industrielles et la participation à des œuvres caritatives.

• Risques de contagion bancaire
- la possibilité de détournement des fonds dans les entreprises en vue de les placer dans l’agro-business, peut compromettre l’équilibre financier de ces entreprises voire conduire à la faillite de celles-ci et accroître le volume des créances litigieuses des banques ;
- la transposition du risque de défaillance des entreprises d’agro-business au secteur bancaire, en raison des éventuels prêts que pourraient solliciter ces entreprises auprès des banques pour la couverture des RSI.

Ces différents risques sont susceptibles de ternir l’image du pays, de dégrader l’environnement des affaires et d’engendrer des remous sociaux.

Eu égard à l’ampleur du phénomène et à l’importance des risques y afférents, le Groupe de Travail a formulé les recommandations ci-après à l’attention des autorités compétentes.

Au titre des mesures à court terme

- rendre publiques les conclusions du présent rapport, à l’effet de mettre en évidence le fait que les entreprises d’agro-business, sous le couvert de la création et de la promotion de plantations agricoles, ont plutôt organisé un vaste système d’escroquerie des populations. Les difficultés de paiements des RSI par certaines entreprises indiquent que la taille critique des souscriptions est atteinte ;
- étendre la mesure de surveillance des comptes des entreprises d’agro-business aux dirigeants et leurs ayants droits ;
- procéder aux visites des sites d’exploitation des entreprises pour lesquelles le Groupe de Travail a émis des réserves ;
- saisir la DPEF pour mener des enquêtes administratives, en relation avec
la CENTIF, sur les sociétés non auditionnées par le Groupe de Travail.
- arrêter le mode opératoire pour le désintéressement des souscripteurs ;
- instruire les administrations compétentes surtout la CENTIF, à l’effet de poursuivre les enquêtes relatives au volet blanchiment d’argent du « phénomène d’agro-business » en vue de parvenir le cas échéant à la saisie et la confiscation des actifs ainsi constitués par ces entreprises ou par leurs dirigeants ou par toute autre personne détenant ces biens de leur chef ;

Au titre des mesures à moyen et long terme

- mettre en place une cellule de réflexion, à l’image du Groupe de Travail, élargie à d’autres structures telles que le CREPMF, l’OCPV et l’ANADER, pour examiner les conditions d’encadrement et de régulation du secteur de l’agro-business. Cette cellule devra, entre autres, définir les critères d’exercice de cette activité et proposer un cadre règlementaire spécifique ;
- mettre en place un organe de veille pluridisciplinaire à l’image du Groupe de Travail à l’effet de prévenir le retour de cette pratique sous une autre forme et son extension à d’autres secteurs économiques ;
- renforcer la sensibilisation des populations sur les risques liés aux promesses de gains rapides et élevés d’argent, et accélérer le déploiement des programmes d’éducation financière à l’intention du grand public.

En définitive, le Groupe de Travail suggère la mise en œuvre diligente des recommandations formulées afin de contenir, à court terme, le phénomène de l’agrobusiness et de mieux le canaliser à moyen et long terme, sous ses différentes variantes.