ADRESSE DU CHEF DE L’ETAT A LA NATION APRES LA SIGNATURE DE L’ACCORD DE OUAGADOUGOU

Ivoiriennes,


Ivoiriens,


Mes chers compatriotes,


Chers amis de la Côte d’Ivoire.


Le dimanche 4 mars 2007, j’ai signé à Ouagadougou, en votre nom à tous, un accord de paix avec ceux qui avaient pris les armes en septembre 2002. Voici quatre ans et demi que nous attendions ce moment ; quatre ans et demi de peine et de souffrances pour notre peuple. Malgré tout, pour ma part, je n’ai jamais désespéré de la Côte d’Ivoire, de la capacité des fils de ce pays à surmonter les difficultés et les malentendus pour se retrouver à nouveau, rassemblés au sein de la République une et indivisible, unis autour de la nation ivoirienne. C’est un grand moment dans notre histoire, une étape décisive vers le règlement définitif de la crise ivoirienne.


Au moment où je m’adresse à vous, à la Nation ivoirienne, pour parler de cet accord historique, je voudrais, avant tout, remercier le Président Blaise COMPAORE, Président du Burkina Faso, Président en exercice de la CEDEAO et Facilitateur dans le dialogue inter-ivoirien.


Il s’est investi personnellement au nom de la CEDEAO mais aussi au nom des liens historiques, culturels et économiques entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, ce pays frère avec lequel nous avons un destin commun.


Je suis particulièrement fier que cet accord ait été signé à Ouagadougou et sous l’égide du Président en exercice de la CEDEAO.


C’est tout un symbole, le symbole de la solidarité et de la fraternité africaines, de la paix en Afrique de l’Ouest par l’Afrique de l’Ouest, de la paix en Afrique par l’Afrique. Les Africains ne doivent pas avoir peur d’affronter et de régler eux-mêmes leurs propres problèmes. Les autres peuvent nous aider mais leur aide n’aura de sens que si nous acceptons d’assumer nos responsabilités.


Je remercie également le Président Thabo MBEKI, Président de la République d’Afrique du Sud dont je ne cesserai de rappeler la méthode de médiation empreinte de détermination mais aussi de courtoisie et de respect pour ses interlocuteurs. J’ai eu à expérimenter l’engagement du Président Thabo MBEKI dans le règlement de la crise ivoirienne lorsque, devant quitter ses fonctions de Médiateur, après l’admission de son pays comme membre du Conseil de Sécurité de l’ONU, il s’est employé, avant ce départ, à organiser à Ouagadougou, le 26 septembre 2006, une rencontre entre le Président COMPAORE et moi-même sur la crise ivoirienne.


Tout le monde voit aujourd’hui les résultats de cette rencontre qui peut être considérée comme le prélude à la facilitation confiée au Président Blaise COMPAORE.


Je remercie tous ces Africains qui viennent d’administrer au monde entier, la preuve que l’Afrique a les ressources nécessaires pour régler ses conflits. Je souhaite qu’il en soit ainsi en Ethiopie, en Erythrée, en Centrafrique, au Soudan, au Tchad, en Somalie et partout ailleurs sur notre continent.


J’encourage tous les acteurs ivoiriens de cet accord, à traduire dans les faits les engagements pris. J’exhorte particulièrement les membres des « Forces Nouvelles » à se maintenir dans la voie que nous avons choisie à Ouagadougou.



Je note, avec satisfaction, qu’ils n’ont tenu aucun propos hostile ni adopté aucun comportement d’adversité depuis l’annonce de mon plan de sortie de crise le 19 décembre 2006 jusqu’à ce jour.



Cette attitude, observée de part et d’autre, a fait naître chez les Ivoiriens, l’espoir d’une paix imminente.



Je félicite les membres des deux délégations ivoiriennes pour avoir conforté cet espoir de paix. Non seulement ils ont su se montrer à la hauteur des enjeux de la crise mais surtout, ils sont restés dignes durant tout le mois passé à Ouagadougou. Ni les dirigeants ni les populations burkinabés n’ont eu à se plaindre d’eux. C’est pour moi un motif de fierté pour la Côte d’Ivoire.



Je remercie la Communauté Sant’Egidio, pour son action discrète mais efficace auprès des uns et des autres durant les discussions.



Mes chers compatriotes,



Pour résoudre la crise ivoirienne, j’ai fait le choix du Dialogue direct avec nos frères qui ont pris les armes, pour au moins quatre raisons :



Premièrement, ce dialogue ne fait appel à aucun intermédiaire. C’est pourquoi il a plutôt fait intervenir un facilitateur et non un médiateur. Deuxièmement, tout le monde se rend compte que malgré les efforts de la Communauté Internationale, la crise ivoirienne persistait. Cela renforce notre conviction que les conflits en Afrique peuvent trouver des solutions grâce aux initiatives des Africains eux-mêmes.



Troisièmement, le Dialogue direct vient traduire concrètement une volonté du peuple ivoirien qui l’avait exprimée lors des journées de consultations que j’ai entreprises avec les couches socio- professionnelles et les régions du pays, du 07 novembre au 17 décembre 2006.



Quatrièmement, le conflit ivoirien, sur l’échelle de gravité des conflits que la Communauté Internationale a à régler, se situe au 70ème rang. C’est peu de dire que le conflit en Côte d’Ivoire, tel qu’il se déroule, ne constitue pas une priorité pour la Communauté Internationale et ne retient pas son attention comme les conflits en Irak, en Palestine ou au Darfour.



Le Dialogue direct entre les autorités ivoiriennes et ceux qui ont pris les armes était donc la seule voie possible pour aboutir à une sortie de crise véritable. L’Accord de Ouagadougou vient le confirmer.



L’accord signé à Ouagadougou est le résultat du dialogue direct, un dialogue voulu par moi-même qui l’ai initié et accepté par les Forces Nouvelles. C’est pourquoi il a abouti à l’accord de paix. Il n’y a donc pas de victoire d’un camp sur un autre. C’est la victoire de tout le peuple ivoirien. Nous allons maintenant nous mettre au travail pour appliquer l’accord, qui est notre propre accord, issu d’un dialogue interne.



J’ai personnellement et publiquement dit ma satisfaction et manifesté ma joie après la signature de cet accord parce qu’il réunit tous les éléments nécessaires pour ramener la paix en Côte d’Ivoire.



C’est en effet le premier accord que tout le monde a salué, à l’intérieur comme à l’extérieur, en raison de son contenu qui aborde toutes les questions restées jusque là non résolues.



L’Accord de Ouagadougou est même allé au-delà de la résolution des problèmes de l’heure puisqu’il s’est penché, en plus du désarmement, de l’identification et de la suppression de la zone de confiance, sur des questions telles que celles de l’embargo sur l’importation des armes dont notre pays est frappé, et celles des sanctions individuelles prises à l’encontre de certains acteurs de la crise ivoirienne.



Enfin, l’Accord de Ouagadougou a mis en place un chronogramme clair et précis qui fait de chaque Ivoirien et de chaque observateur de la crise ivoirienne, un acteur du Comité d’Evaluation et d’Accompagnement.



Jusque là, c’est la Communauté Internationale qui a eu l’initiative des négociations et des Accords de paix.



A Ouagadougou les discussions ont été menées sur l’initiative des Ivoiriens, par des Ivoiriens avec pour Facilitateur notre voisin le plus proche.



J’invite donc les Ivoiriens à s’approprier cet accord parce qu’un échec dans l’application de celui-ci serait catastrophique, aucune possibilité de pourparlers ne pouvant plus être expérimentée, toutes les voies de recours tant extérieures qu’intérieures ayant été épuisées.



Nous devons donc tout mettre en œuvre pour sauvegarder cet accord, le premier conclu à l’initiative des Ivoiriens, entre les Ivoiriens et pour les Ivoiriens.



J’invite alors, comme je ne l’ai jamais fait à la suite de la signature d’aucun accord, toute la classe politique, la société civile, les jeunes, les femmes, les travailleurs, à ne rien faire, ni dire qui puisse directement ou indirectement compromettre l’application de l’Accord de Ouagadougou. Je les invite à avoir foi en cet Accord.
Je demande à tous ceux pour qui, comme moi, la guerre est devenue pénible et qui ont le souci de permettre à la Côte d’Ivoire de retrouver la paix et de s’attaquer aux véritables problèmes de notre société, de s’impliquer et d’accompagner l’application de cet accord.



J’invite tout mouvement, toute association et toute organisation à s’abstenir de tout comportement susceptible de nuire à la réussite de cet accord.



L’Accord de Ouagadougou lui-même a, par ailleurs, dans le code de bonne conduite qu’il a édicté, demandé à la presse tant nationale qu’étrangère, de ne rien faire qui nuise aux chances de succès de son application. Je me joins aux rédacteurs de cet accord pour en appeler à l’esprit de responsabilité de la presse de quelque bord qu’elle soit, en lui demandant, au nom de tous les Ivoiriens, de contribuer par des propos mesurés, au succès de cet accord que je considère comme le dernier sur la crise ivoirienne.



Je mesure toute la responsabilité qui est la mienne, en tant que Président de la République, dans cette dernière phase du processus de paix. Je veillerai à l’application de l’accord que nous avons signé. Je compte sur chacun de vous pour que rien ne vienne compromettre nos efforts. Il est temps qu’on aille à l’essentiel. Il est temps qu’on aille aux élections.



Bientôt, nous allons adopter, par voie d’ordonnance, une nouvelle loi d’amnistie. Une autre ordonnance viendra instituer et réglementer le Service Civique National. Le programme d’aide au retour des déplacés de guerre devra se mettre en place.



Dès que commencera la levée de la zone de confiance, j’irai moi-même au Nord, au Nord Est, à l’Ouest et au Centre du pays. Le pays doit se retrouver, les Ivoiriens doivent se retrouver. Nous avons un pays à reconstruire, nous avons notre place à tenir en Afrique de l’Ouest, en Afrique et dans le monde.



La paix est à notre portée. Ne faisons rien qui puisse l’éloigner et l’amener à nous échapper.



Que Dieu bénisse la Côte d’Ivoire !



Laurent GBAGBO